Le 5 avril dernier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, interpellé lors d’une audition sénatoriale, sur les critiques formulées par la Ligue des droits de l’Homme quant à l’action des forces de l’ordre à Sainte Soline, a indiqué que, dans ce contexte, les subventions accordées par l’Etat à la LDH devraient en effet être examinées, avant d’enjoindre les collectivités territoriales à faire de même. Loin de remettre en cause ces propos, la Première Ministre a renchéri en questionnant certaines prises de position de cette même association.
Ces déclarations ont, à juste titre, suscité de vives réactions. Parce que l’expression du ministre de l’Intérieur ressemble à l’expression d’un fait du prince usant de son pouvoir pour réduire les oppositions, et parce qu’elle porte sur une association dont l’histoire est faite, depuis 125 ans, de combats pour protéger les droits et libertés de tous et toutes et faire vivre les valeurs de la République, y compris parfois face aux autorités elles-mêmes.
Il est évidemment normal qu’un financeur s’assure de la bonne utilisation des fonds par les associations qu’il subventionne ; mais cela sur la base des missions qui sont celles de l’association, et pour lesquelles elle est soutenue ; et non pas conformément à ce que souhaiteraient entendre celles ou ceux qui pour un temps ont la responsabilité de la gestion de l’Etat. Ainsi que le rappelle à juste titre la circulaire relative aux relations entre pouvoirs publics et associations du 29 septembre 2015, « l’octroi de subventions doit favoriser un partenariat équilibré entre pouvoirs publics et associations. » Subventionner une association ne veut pas dire la contraindre au silence. La grandeur d’une démocratie est justement de savoir soutenir la diversité des approches et des points de vue qui permettent le débat et qui sont aussi des contre-pouvoirs nécessaires. Il est donc extrêmement grave qu’un ministre de la République puisse ouvertement mettre en question les financements accordés à une association parce que cette dernière, dans le respect de la loi, a une parole critique sur l’action de l’Etat.
Mais si le ministre de l’Intérieur se permet cette mise en cause et en question si directe, c’est parce que le climat aujourd’hui l’y autorise. En effet aussi choquantes soient ces déclarations, nous ne pouvons malheureusement pas en être complètement surpris. Elles interviennent dans un contexte où de nombreux signaux, bien que moins visibles, traduisent cette volonté de remettre en cause les libertés et l’indépendance des associations et de renforcer le contrôle sur les organisations de la société civile.
La loi confortant le respect des principes de la République et ses dispositions relatives au Contrat d’engagement républicain, à l’élargissement des motifs de dissolution d’associations, au renforcement des mesures de contrôle des financements sont une traduction très concrète de ce tournant dans les rapports entre administrations et associations. Le contrat d’engagement républicain, notamment utilisé pour remettre en cause la subvention versée à l’association Alternatiba Poitiers, dénature la relation de confiance qui doit prévaloir entre pouvoirs publics et associations, mettant en place une forme de brevet préalable de « conformité républicaine » contraire à l’esprit de la loi 1901. Et quand les dispositions de ce Contrat ne sont pas directement activées, il constitue de plus en plus souvent une épée de Damoclès, voire une menace non déguisée pour des associations dont les activités militantes ne répondent pas aux positions de leurs interlocuteurs politiques. Cette boite de Pandore qui a été ouverte conduit aujourd’hui des élus territoriaux à vouloir imposer aux associations dans leurs actions les exigences de neutralité qui n’ont à s’appliquer qu’aux services publics ; conduit des parlementaires à vouloir pénaliser des associations pour les actions individuelles de leurs membres, en dehors de toute intervention de justice ; conduit certaines administrations à exiger d’associations, au prétexte qu’elles reçoivent des fonds publics, qu’elles se censurent dans leurs pratiques. Qu’il s’agisse de nouvelles contraintes administratives, de nouveaux textes législatifs ou de déclarations publiques, certaines associations se retrouvent de plus en plus souvent contraintes dans leur capacité d’actions, voire attaquées dans leur capacité à interpeller les pouvoirs publics.
Cette fragilisation est dangereuse. Elle a des impacts. Des impacts sur celles et ceux qui sont engagées pour l’action, qui s’investissent pour le collectif et pour l’intérêt général et auxquels on renvoie soit de la défiance soit de la contrainte. Des impacts sur la capacité à prendre en compte les voies de transformation qui sont bien souvent portées par les associations, parfois à la limite de ce que sont les règles admises, souvent en tout cas ailleurs que dans ce que proposent les politiques publiques. Des impacts enfin et surtout, pour notre vitalité démocratique et pour sa sérénité. Nous avons plus que jamais besoin de ces espaces de construction de la parole et de l’action collectives que sont les associations et de la contribution qu’elles peuvent apporter, sous de multiples formes au débat public. Limiter et contraindre ces expressions ne peut que contribuer à exacerber des tensions déjà vives dans notre société.
Les alertes sont aujourd’hui trop nombreuses et récurrentes pour qu’elles ne soient pas prises au sérieux. La Défenseure des droits, dans un communiqué du 14 avril, constate « une intensification des risques d’atteintes à la liberté d’association » et souligne qu’ « une telle évolution est hautement problématique dans un État démocratique ». Plus que jamais, il est essentiel de réaffirmer collectivement notre attachement aux libertés associatives, de rendre publiques toutes les atteintes qui y seront portées et nous mobiliser contre ces attaques.
Il est de la responsabilité du Gouvernement aujourd’hui, de cesser les amalgames et d’affirmer haut et fort, en mots et en actes, que les libertés associatives sont au cœur de notre pacte démocratique. Nous appelons également tous ceux et toutes celles qui en savent toute l’importance, et notamment les élus territoriaux qui construisent au quotidien avec les associations, à se mobiliser pour elles.
Un an après des élections où le Président de la République lui-même expliquait que le vote « l’obligeait », n’ayons pas peur de la démocratie. Ayons la sagesse de ne pas considérer toute opposition comme un « nouveau séparatisme ». Ayons l’intelligence de débattre sans nous invectiver. Ayons le courage de réinstaurer un dialogue de confiance entre les pouvoirs publics et les associations. Il en est encore temps !
- Claire Thoury, Présidente, Le Mouvement associatif
- Thierry Abalea, Président, Le Mouvement associatif Bretagne
- Yoann Alba, Président, Crajep Centre Val de Loire
- Chantal Alexandre, Présidente, MJC Amboise
- Stéphane Alexandre, Co-président, Réseau National des Juniors Associations
- Fanette Bardin, Arthur Moraglia, Pauline Veron, Co-président.e.s, Démocratie Ouverte
- Patrick Baudouin, Président, Ligue des droits de l’Homme
- Souâd Belhaddad, Fondatrice, Citoyenneté Possible
- Laurent Berger, Secrétaire général, CFDT
- François Bernard, Président, Alice Guy Production
- Patrick Bertrand, Directeur exécutif, Action Santé Mondiale
- Cathy Blanc-Gonnet, Directrice, Humatem
- Thierry Bos, président, Fédération des MJC de France
- François Bouchon, Président, France Bénévolat
- Lucie Bozonnet, Yann Renault, Arnaud Tiercelin, Co-président.e.s, Cnajep
- Olivier Bruyeron, Président, Coordination SUD
- Sylvie Bukhari-De Pontual, Présidente, CCFD-Terre Solidaire
- Rodrigue Carbonnel, Secrétaire général, Fédération des Aroeven
- Marie-Pierre Cattet, Présidente, Le Mouvement associatif Bourgogne-Franche Comté
- Clément Chauvel, Directeur, OPPELIA Essonne
- Suzanne Chevrel, Présidente, Eclaireuses et Eclaireurs Unionistes de France
- Philippe Clément, Président, Le Mouvement associatif Normandie
- Patricia Coler, Co-présidente, Mouvement pour l’Economie Solidaire
- Morgane Creach, Directrice générale, Réseau Action Climat
- Henry de Cazotte, Président, GRET
- Christophe Dansac, Trésorier, Académie territoriale des savoirs en construction
- Leopold Dauriac, Co-président, MES Occitanie
- Vincent David, Fondateur, Agence RUP
- Charlotte Debray, Déléguée générale, La Fonda
- Michelle Demessine, Présidente, Union nationale des associations de tourisme
- Dominique Demory, Président, URIOPSS Hauts de France
- Jean-Luc Depeyris, Directeur général, Sauvegarde du Val d’Oise
- Thierry Dereux, Président, FNE Hauts de France
- Joël Derrien, Président, AD PEP 28
- Sophie Descarpentries, Co-présidente, FRENE
- Julie Desmidt, Co-présidente, UFISC
- Véronique Devise, Présidente, Secours Catholique – Caritas France
- Philippe Doux, Secrétaire, Le Mouvement associatif Pays de le Loire
- Cécile Duflot, Directrice générale, Oxfam France
- Sarah Durocher, Présidente, Planning familial
- Sylvie Emsellem, Déléguée nationale, l’ESPER
- Gilles Epale, Président, Le Mouvement associatif Auvergne-Rhône-Alpes
- Christian Eyschen, Secrétaire général, Fédération nationale de la Libre Pensée
- Jean-Marie Fardeau, Délégué national, VoxPublic
- Didier Fassin, Président, Le COMEDE
- Beatrice Fonlupt, Directrice générale, ADAES 44
- Françoise Fromageau, Présidente, Mona Lisa
- Aurélie Gal-Régniez, Directrice, Equipop
- Claude Garcera, Président, Union Nationale pour l’Habitat des Jeunes
- Christian Gaudray, Président, UFAL
- Christophe Gaydier, Président, Animafac
- Iola Gelin, Directrice, CEMEA Centre Val de Loire
- Martine Gernez, Présidente, HAMAP
- Dominique Gillot, Présidente, Fédération générale des PEP
- Gérald Godreuil, Délégué général, Fédération Artisans du Monde
- Bruno Guermonprez, Président, Élevages Sans Frontières
- Murielle Guilbert, Co-déléguée générale, Union syndicale Solidaires
- Dominique Guillien Isenmann, Présidente, Fédération Nationale solidarité femmes
- Dominique Hays, Président, Réseau Cocagne
- Michel Horn, Président, GRAPE Normandie
- Eric Hugentobler, Directeur, Picardie Nature
- Philippe Isnard, Président, Laïcité l’observatoire PACA Midi
- Didier Jacquemain, Président, Hexopée
- Véronique Jenn-Treyer, Directrice, Planète Enfants & Développement
- Michel Jezequel, Président, CRESS Bretagne
- Mohamed Khandriche, Président, Touiza solidarité
- Michel Le Direach, Président, UFCV
- Anastasia Léauté, Présidente, RESES
- Marion Lelouvier, Présidente, Centre français des Fonds et Fondations (CFF)
- Jacques Limouzin, Président, Mouvement des Régies
- Françoise Marchand
- Marie-Claire Martel, Présidente, COFAC
- Océane Martin, Déléguée générale, Radio Campus France
- Catherine Mechkour-Di Maria, Secrétaire générale, Réseau national des ressourceries et recycleries
- Hélène Mimar-Rangel, Présidente, Radio Occitania
- Guy Mimard, Trésorier, Radio Occitania
- André Molesin, Responsable régional Occitanie, ESPER
- Stéphane Montuzet, Président, CRESS Nouvelle Aquitaine
- José Mariage, Directeur, Le Partenariat
- Alexandre Moreau, Président, Anafé
- Véronique Moreira, Présidente, WECF France
- William Morissé, Président, Office de tourisme des Portes Euréliennes d’Ile de France
- Aurelien Naud, Directeur adjoint, OUL
- Charlotte Niclause, Directrice générale adjointe, Ligue de l’Enseignement 78
- Carole Orchampt, Déléguée générale, Réseau national des Maisons des associations
- Béremy Otto, Chef de projet, Mouvement associatif Centre val de Loire
- Imane Ouelhadj, Présidente, UNEF
- Judith Pavard, Présidente, Fédération nationale des arts de la rue
- Yvan Pavis, Délégué régional, Fédération des MJC Ile de France
- Amélie Pedrot, Administratrice, La Fonda
- Valérie Pélisson-Courlieu, Directrice générale, ESPERER 95
- Philippe Pereira , Délégué national, Cotravaux
- Pascal Petit, Vice-président, Mouvement associatif de Bretagne
- Peuple et Culture, Collectif
- Guy Plassais, Président, Fédération 95 de la Ligue de l’Enseignement
- Jean-François Quantin, Co-président, MRAP
- Marie-Noëlle Reboulet, Présidente, Geres
- Marcel Rémon, Directeur, CERAS
- Marie-Noelle Rinquin, Administratrice, Institut Culturel de Bretagne – Skol Uhel Ar Vro
- Tristan Rivoallan , Trésorier, Constructions Incongrues
- Christophe Robert, Délégué général, Fondation Abbé Pierre
- Jean-Marc Roirant, Président, Fédération de Paris Ligue de l’Enseignement
- Christine Rollard, Présidente, OPIE
- Michel Roy, Secrétaire général, Justice et Paix France
- Gilles Rouby, Président, Collectif des Associations Citoyennes
- Jérôme Saddier, Président, ESS-France
- Nadjima Saïdou, Présidente, Engagé·e·s & Déterminé·e·s
- Cécile Sajas, Présidente, Crajep Ile de France
- Louise Schalchli, Chargée de mission, Le Mouvement associatif Occitanie
- Arnaud Schwartz, Président, France Nature Environnement
- Pierre Segura, Président, Fédération nationale des Francas
- Roger Sue, Sociologue
- Antoine Sueur, Président, Emmaüs France
- Françoise Sturbaut, Présidente, Ligue de l’Enseignement
- Syndicat de la Magistrature
- Julien Talpin, Chargé de recherche au CNRS, Observatoire des libertés associatives
- Marielle Thuau, Présidente, Fédération Citoyens & Justice
- Florence Thune, Directrice générale, Sidaction
- José Tissier, Président, Commerce Equitable France
- Jérémie Torel, Co-président, Bénénova
- Mackendie Toutpuissant, Président, FORIM
- Robert Turgis, Président, Le Mouvement associatif d’Ile-de-France
- Elise Van Beneden, Présidente, Anticor
- Nathalie Vandermersch, Directrice générale, Ajhiralp
- Didier Vaubaillon, Président, Terre des Hommes France
- Daniel Verger, Président, CLONG Volontariat
- Françoise Vernet, Présidente, Terre&Humanisme
- Kaméra Vesic, Directrice, PIKPIK Environnement
- Loreline Vidal, Administratrice référente, Réseau National des Maisons des Associations
- Jérôme Voiturier, Délégué général, UNIOPSS
- Youlie Yamamoto, Porte-Parole, Attac France